"Les cinq stades de l'effondrement" de Dmitry Orlov
Je l'ai vaguement évoqué lors la reprise de mon blog, ce n'est pas une crise financière, mais un effondrement du système qui est en cours. Or ce système régit, au-delà de ce que nous en sommes conscients, nos sociétés occidentales, nos mode de vie, mais également nos modes de pensées. Cet effondrement du système capitaliste ou néo-libéral n'est pas seulement économique, idéologique et/ou politique, mais ceui de la société que nous connaissons. Ce sont nos vies individuellement, au quotidien qui vont être bousculées, ce que nous considérons comme normal, nos habitudes, mais également de croyances que nous tenions pour vérités établies, au point de jamais nous interroger à leur sujet.
La société ne va s'effondrer tel jour à telle heure, projetant tout le monde dans le chaos le plus total. Nous ne sommes pas au cinéma, mais dans la réalité. Donc ça ne sera ressemblera en rien à un film catastrophe commercial à grand spectacle ou d'anticipation noir. Heureusement, car Bruce Willis ou Schwarzeneger ne seraient pas arrivés pour nous sortir de là !
Ce ne sera pas la fin du monde, mais c'est en partie ainsi que psychologiquement, beaucoup de personnes le vivront en occident, car ce sera la fin de "notre" monde, c'est à dire de la représentation du monde que nous avons en occident, et dont je le répète nous ne sommes pas conscients.
Depuis un moment, je voulu aborder ce sujet, sans toutefois arriver à structurer un écrit pour essayer d'expliquer ce que j'entendais par effondrement de notre société. J'ai trouvé récemment le texte que je mets ci-dessous, qui décrivant dans les grandes lignes les étapes et domaines concernés par cet effondrement. Je ne vais pas faire de commentaire sur cet article, parce qu'il reflète la vision globale que je n'arrivais pas exprimer. Je mettrais mes réflexions personnelles relatives à cet effondrement à part.
Il parle de la société américaine, mais nous sommes dans le même processus en Europe. Si je mets ce texte, c'est qu'il décrit ce que je perçois des mouvements en cours chez nous. Il expose la structure de ce processus d'effondrement qui est déjà en cours, vous le prendrez peut-être pour une théorie ou une opinion de plus, ce n'en est pas une et le temps le démontrera.
Que cette société qui nous met en péril ainsi que la planète disparaisse, je ne vais pas le regretter. Nous n'avons pas eu l'intelligence de le comprendre et d'en changer en douceur, nous allons y être contraint par son effondrement, dans l'urgence et l'improvisation, c'est à dire dans les pires conditions. Mais avoir une approche de fond et non de forme, de ces problèmes, de ce qui peut en limiter les dégâts, nous permettrait certainement de réagir plus intelligemment et efficacement au fur et à mesure que nous y serons confrontés. L'effondrement est inéluctable et va nous plonger dans une période difficile, mais difficile ne signifie pas dramatique. Cette période peut être porteuse d'un renouveau, d'une énergie, d'une conscience nous permettant d'aller vers une société meilleure et viable. Tout dépend comment nous réagirons individuellement et collectivement.
Je ne met que le début de l'article ci-dessous, de toute façon il est trop long pour pouvoir être repris en entier sur Over-blog.
Site très éclectique : l'auteur y a traduit des textes Joe Bageant, descriptions et réflexions tonitruantes sur la société américaine, de Dmitry Orlov, dont celui cité ci-dessous. Il y exprime ses "bouffées délirantes" personnelles. Mais vous y trouverez aussi, Golden Retriever, la rubrique bourse tenue par un trio canin de choc (si !), pourrez y réviser le japonais avec le grand professeur Onizuka, ou apprendre à maîtriser parfaitement les cases du manche de votre guitare ou basse avec Le Balezator !
Les cinq stades de l'effondrement
Dmitry Orlov 11 novembre 2008
Bonsoir à tous ! L'exposé que vous êtes sur le point d'entendre est le résultat d'un processus longuet de mon côté. Ma spécialité est de réfléchir à — et malheureusement de prédire — l'effondrement. Ma méthode est basée sur la comparaison : j'ai vu l'Union soviétique s'effondrer et, puisque je suis aussi familiarisé avec les détails de la situation aux États-Unis, je peux faire des comparaisons entre ces deux superpuissances défaillantes.
Je suis né et j'ai grandi en Russie, et je suis retourné en Russie à maintes reprises entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990. Cela m'a permis d'acquérir une solide compréhension de la dynamique du processus d'effondrement tandis qu'il se déroulait là-bas. À partir du milieu des années 1990 il était tout à fait clair pour moi que les États-Unis prenaient la même direction générale. Mais je ne pouvais pas encore dire combien de temps le processus prendrait, alors je me suis assis et j'ai regardé.
Je suis un ingénieur, et donc j'ai naturellement tendance à chercher des explications physiques à ce processus, par opposition aux explications économiques, politiques ou culturelles. Il s'avère que l'on peut trouver une très bonne explication de l'effondrement soviétique en suivant les flux d'énergie. Ce qui s'est produit dans les années 1980 est que la production de pétrole Russe a atteint un pic historique. Cela a coïncidé avec la mise en production de nouvelles provinces pétrolières à l'Ouest — la mer du Nord en Grande-Bretagne et en Norvège, la baie de Prudhoe en Alaska — et cela a rendu soudainement le pétrole très peu cher sur les marchés mondiaux. Les revenus soviétiques ont dégringolé, mais leur appétit pour les marchandises importées est demeuré inchangé, et donc ils ont plongé de plus en plus profondément dans l'endettement. Ce qui les a condamné finalement n'était même pas tant le niveau d'endettement que leur incapacité à engager davantage d'endettement encore plus vite. Une fois que les prêteurs internationaux ont rechigné à accorder davantage de prêts, la partie était terminée.
Ce qui arrive aux États-Unis maintenant est largement similaire, avec certaines polarités inversées. Les États-Unis sont un importateur de pétrole, brûlant jusqu'à vingt-cinq pour cent de la production mondiale, et important plus des deux tiers de cela. Au milieu des années 1990, quand j'ai commencé pour la première fois à essayer de deviner le moment de l'effondrement des États-Unis, l'arrivée du pic global de la production pétrolière était prévue aux environs du tournant du siècle. Il s'est avéré que l'estimation était décalée d'une décennie, mais c'est assez précis, en fait, pour ce genre de grandes prédictions. Et voilà le prix élevé du pétrole qui met un frein à davantage d'expansion de la dette. Tandis que les prix plus élevés du pétrole déclenchent une récession, l'économie commence à se contracter, et une économie qui se contracte ne peut soutenir un niveau d'endettement en expansion perpétuelle. À un certain point la capacité de financer les importations de pétrole sera perdue, et ce sera le point de basculement, après lequel rien ne sera plus jamais pareil.
Ceci n'est pas pour dire que je crois à une sorte de déterminisme de l'énergie. Si les États-Unis réduisaient leur consommation d'énergie d'un ordre de grandeur1, ils consommeraient toujours une quantité invraisemblablement énorme, mais une crise énergétique serait évitée. Mais alors, ce pays, tel que nous avons l'habitude de le concevoir, n'existerait plus. Le pétrole est ce qui actionne cette économie. À son tour, c'est cette économie basée sur le pétrole qui rend possible le maintien et l'augmentation d'un niveau d'endettement extravagant. Donc, une réduction drastique de la consommation de pétrole causerait un effondrement financier (plutôt que l'inverse). Quelque autres stades d'effondrement suivraient, dont nous discuterons ensuite. Ainsi, on peut voir cet appétit bizarre pour le pétrole importé comme un échec culturel, mais ce n'en est pas un qui peut être défait sans causer beaucoup de dommage. Si l'on veut, on peut appeler cela du déterminisme ontologique : ça doit être comme c'est, jusqu'à ce que ce ne soit plus.
Je ne veux pas suggérer que chaque partie du pays va soudainement subir une panne d'existence spontanée, en revenant à une nature inhabitée. Je suis d'accord avec John Michael Greer2 que le mythe de l'apocalypse n'est pas le moins du monde utile pour faire face à la situation. L'expérience soviétique est très utile ici, parce qu'elle nous montre non seulement que la vie continue, mais aussi exactement comment elle continue. Mais je suis tout à fait certain qu'aucune quantité de transformation culturelle ne nous aidera à sauver divers aspects clefs de cette culture : la société de l'automobile, la vie dans les banlieues3, les grandes surfaces, le gouvernement affairiste, l'empire global, la finance incontrôlée.
D'un autre côté, je suis tout à fait convaincu que rien de moins qu'une profonde transformation culturelle ne permettra à un nombre significatif d'entre nous de garder un toit au dessus de la tête, et de la nourriture sur la table. Je crois aussi que le plus tôt nous commencerons à abandonner notre bagage culturel inadapté, plus nous aurons de chances de tenir. Il y a quelques années, mon attitude était juste de continuer à regarder les événements se dérouler, et de garder cette histoire d'effondrement comme une sorte de passe-temps macabre. Mais le cours des événement est certainement en train de s'accélérer, et maintenant mon sentiment est que le pire que nous pourrions faire est de prétendre que tout ira bien et de passer le temps restant dans l'organisation actuelle de notre vie, sans rien pour la remplacer une fois qu'elle aura commencé de s'arrêter.
Maintenant, pour en revenir à mes propres progrès personnels sur ces questions, en 2005 j'ai écrit un article appelé Leçons post-soviétiques pour un siècle post-américain. Initialement, je voulais le publier sur un site tenu par Dale Allen Pfeiffer4, mais, à ma surprise, il a fini sur From the Wilderness, un site bien plus populaire tenu par Michael Ruppert5 et, à mon étonnement croissant, Mike m'a même payé pour cela.
Et depuis lors, on me pose la même question, très souvent : Quand ? Quand l'effondrement va-t-il se produire ? Étant un petit peu intelligent, je refuse toujours de donner une réponse spécifique, parce que, voyez-vous, dès que l'une de vos prédictions spécifiques s'avère fausse, c'en est fait de votre réputation entière. Une manière raisonnable d'envisager le minutage est de dire que l'effondrement peut se produire à différents moments pour différentes personnes. Vous pouvez ne jamais vraiment savoir que l'effondrement s'est produit, mais vous saurez qu'il s'est produit pour vous personnellement, ou pour votre famille, ou pour votre ville. La vision d'ensemble ne s'assemblera peut-être pas avant bien longtemps, grâce aux efforts des historiens. Individuellement, nous pouvons ne jamais savoir ce qui nous frappe et, en tant que groupe, nous pouvons ne jamais être d'accord sur une seule réponse. Regardez l'effondrement de l'URSS : certaines personnes débattent encore de pourquoi exactement il s'est produit.
Mais quelquefois la vision est plus claire que nous le souhaiterions. En janvier 2008, j'ai publié un article sur Les cinq stades de l'effondrement, dans lequel je définissais les cinq stades, et puis j'affirmais courageusement que nous étions au beau milieu d'un effondrement financier. Et dix mois plus tard il semble que je ne me sois pas trop avancé cette fois. Si le gouvernement américain doit prêter aux banques plus de deux cent milliards de dollars par jour juste pour empêcher l'ensemble du système d'imploser, alors le terme crise ne rend probablement pas justice à la situation. Pour continuer ce jeu, le gouvernement américain doit être capable de vendre la dette qu'il engage, et quelles chances y a-t-il, pensez-vous, pour que l'ensemble du monde s'arrache des milliers de milliards de dollars de dette nouvelle, sachant qu'ils sont utilisés pour consolider une économie en train de se contracter ? Et si la dette ne peut être vendue, alors elle doit être monétisée, en imprimant de l'argent. Et cela déclenchera l'hyperinflation. Alors, n'ergotons pas, et appelons ce qui est en train de se produire comme ce à quoi cela ressemble : un effondrement financier.
Les cinq stades de l'effondrement
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Stade 1 : L'effondrement financier ✓
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Stade 2 : L'effondrement commercial
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Stade 3 : L'effondrement politique
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Stade 4 : L'effondrement social
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Stade 5 : L'effondrement culturel
Alors voici les cinq stades tels que je les ai définis il y a presque un an. La petite coche à côté de l'effondrement financier est là pour nous rappeler que nous ne sommes pas ici pour ergoter ou être ambigus, car le stade 1 est très engagé. Les stades 2 et 3 — les effondrements commercial et politique — sont entraînés par l'effondrement financier, et se chevaucheront l'un l'autre. Pour l'instant, il n'est pas clair lequel est le plus engagé. D'un côté, il y a des signes que le trafic mondial ralentit, et que les grandes surfaces sont bonnes pour une très mauvaise période, avec de nombreux magasins susceptibles de fermer après une saison de Noël désastreuse. D'un autre côté, les États subissent déjà des déficits budgétaires massifs, licencient des employés d'État, réduisent les programmes, et commencent à supplier le gouvernement fédéral pour être renfloués financièrement.
Même si les différents stades de l'effondrement s'entraînent les uns les autres de façons variées, je pense que cela a un sens de les maintenir conceptuellement séparés. Ceci parce que leurs effets sur notre vie quotidienne sont tout à fait différents. N'importe quels moyens constructifs que nous pourrons trouver pour esquiver ces effets seront aussi différents. Enfin, certain stades de l'effondrement semblent inévitables, tandis que d'autres peuvent être évités si nous nous battons assez.
L'effondrement financier semble particulièrement douloureux si vous vous trouvez avoir beaucoup d'argent. D'un autre côté, je rencontre tout le temps des gens qui ont le sentiment que rien n'est encore arrivé. Ce sont surtout des gens jeunes, qui ont relativement réussi, qui n'ont pas ou peu d'économies, et ont encore des boulots bien payés, ou une assurance chômage qui n'est pas encore épuisée. Leur vie quotidienne n'est pas très affectée par la tourmente sur les marchés financiers, et ils ne croient pas que quoi que ce soit de différent soit en train de se produire en dehors des hauts et des bas économiques habituels.
L'effondrement commercial est bien plus évident, et l'observer ne nécessite pas d'ouvrir des enveloppes et d'examiner des colonnes de chiffres. C'est douloureux pour la plupart des gens, et mortellement dangereux pour certains. Quand les rayonnages des magasins sont vidés du nécessaire et restent ainsi pendant des semaines de suite, la panique s'installe. Dans la plupart des lieux, cela requiert une sorte de réaction d'urgence, pour s'assurer que les gens ne soient pas privés de nourriture, d'abris, de médicaments, et que certaines mesures de sécurité et d'ordre public soient maintenues. Les gens qui savent ce qui vient peuvent se préparer à en éviter le pire.
L'effondrement politique est encore plus douloureux, parce qu'il est mortellement dangereux pour beaucoup de gens. La rupture de l'ordre public serait particulièrement dangereuse aux États-Unis, à cause du grand nombre de problèmes sociaux qui ont été balayés sous le tapis au cours des années. Les Américains, plus que la plupart des autres peuples, ont besoin d'être défendus les uns des autres à tout moment. Je pense que je préférerais la loi martiale à l'anarchie et au chaos complet et absolu, bien que j'admette que l'un et l'autre soient de très pauvres choix.
L'effondrement social et culturel semble avoir déjà eu lieu dans plusieurs parties du pays dans une large mesure. Ce qui reste d'activité sociale semble ancrée dans des activités transitoires telles que le travail, les courses et les sports. La religion est peut-être la plus grande exception, et beaucoup de communautés sont organisées autour des églises. Mais dans les endroits ou la société et la culture demeurent intactes, je croit que l'effondrement social et culturel est évitable, et que c'est là que nous devons vraiment résister. Aussi, je pense qu'il est très important que nous apprenions à voir notre environnement pour ce qu'il est devenu. Dans beaucoup d'endroits, on a l'impression qu'il ne reste simplement pas beaucoup de choses qui vaillent d'être sauvées. Si toute la culture que nous voyons est de la culture commerciale, et si toute la société que nous voyons est la société de consommation, alors le mieux que nous ayons à faire est de nous en éloigner, et de chercher d'autres gens prêts à faire de même.
Les cinq stades de l'effondrement
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Une conjecture audacieuse qui nous permet de formuler des réponses spécifiques aux effets de l'effondrement
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Chaque stade implique la perte de la foi, ou de la confiance, dans certains composants clefs du statu quo
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Les effets physiques, mesurables, peuvent être retardés, mais les mutations psychologiques sont brusques
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Tous les stades ne sont pas 100 % inévitables
Il n'y a rien de particulièrement profond ou magique quant aux cinq stades que j'ai choisi, sauf qu'ils semblent pratiques. Ils correspondent aux aspects communément distingués de la réalité quotidienne. Chaque stade de l'effondrement correspond aussi à un certain ensemble de croyances dans le statu quo, qui est sur le point de tomber à l'eau.