Réponses d' enseignant-chercheurs à Mr Apparu, député UMP
Je vous mets ci-dessous les commentaires laissés par deux enseignant-chercheurs sur l'article de Rue89, Enseignants-chercheurs : aucune raison de s'opposer !, où "Benoist Apparu, député UMP de la Marne et rapporteur de la loi LRU, s'étonne des réactions des syndicats et des dirigeants socialistes contre le décret sur les enseignants-chercheurs".
De Autre raleur - 06/02/2009
Monsieur Apparu,
Je suis maitre de conférence en mathématiques. Je pense faire partie de ces enseignants-chercheurs qui n’ont parait-il rien à craindre de cette réforme. J’y suis portant très fortement opposé. Je ne veux pas donner d’arguments trop idéologiques ni trop politiques. Je ne veux même pas approfondir le fait qu’une possibilité de modulation cumulée avec une diminution du nombre de postes semble plutôt indiquer un souci d’économie qu’un souci de favoriser la recherche ou de rendre plus attractives les carrières. Et, surtout, j’éviterai de parler du discours insultant et rempli de demi-vérités (un euphémisme) de Nicolas Sarkozy le 22 janvier.
J’aimerais par contre (je suis sincère) connaître vos contre-arguments face à l’argument technique suivant (un argument parmi beaucoup d’autres). Je me permet de reproduire un billet que j’ai déjà posté il y a quelques temps sur ce site (et sur d’autres d’ailleurs).
Résumé : sanctionner les chercheurs peu productifs rend-il la recherche plus efficace ? Je suis convaincu que non.
Je pense que ce qui dérange beaucoup de personnes, c’est qu’il existe des chercheurs fonctionnaires qui ne cherchent plus (ça existe effectivement et c’est pénible) ainsi que des chercheurs fonctionnaires qui ont été recrutés à tort (ça existe aussi).
Cependant (et c’est là le point délicat), imposer des évaluations régulières et détériorer les conditions de travail du chercheur en cas d’évaluation négative n’est pas une bonne solution pour la recherche (et donc pour le contribuable, qui finance tout cela).
Admettons qu’il y ait 20% de chercheurs incompétents ou oisifs (c’est une surévaluation de ce que je vois autour de moi). Les 80% restants sont compétents et travailleurs. Si ces 80 % de chercheurs gardent leur travail et leurs moyens pour travailler même s’ils ne trouvent rien alors ils peuvent consacrer tout leur temps à faire de la bonne recherche. Grosso-modo une efficacité de 80%. Ce n’est pas 100%, mais peut-on faire mieux ?
Admettons que vous cherchiez à régler le problème de ces oisifs ou incompétents. Vous décidez de baisser les financements des chercheurs les moins productifs. Vous décidez également de faire enseigner davantage les enseignants-chercheurs peu productifs (et donc de réduire le temps qu’ils peuvent consacrer à la recherche). Si vraiment ils ne produisent rien, vous les virez. Que se passe-t-il ?
Les 80% des chercheurs précédents vont devoir « prouver qu’ils font de la recherche mieux que les autres » (ou, plus exactement, le faire croire). Et c’est très différent de « faire de la recherche ». Cela veut dire :
- dès que le chercheur a une vague idée qui pourrait être publiée, il va le faire, même si l’idée n’est pas vraiment intéressante. Conséquence : perte de temps pour lui (rédiger un papier sexy avec une idée sans intérêt, ça prend du temps) ; perte de temps pour les arbitres des journaux auxquels il va soumettre ce papier (ce qui feront bien leur travail rejetteront le papier, cela leur prendra du temps ; les autres l’accepteront peut-être) ; perte du temps pour les chercheurs qui liront ensuite le papier publié en pensant y trouver des idées etc.
- si vous avez une idée qui pourrait débloquer votre collègue de bureau, il est peut-être plus sage de ne pas la lui donner : il pourrait ainsi avoir une publication de plus et donc enseigner moins, vous condamnant à enseigner plus et donc à chercher moins…
- si le chercheur doit choisir entre un projet intéressant (et donc dont il ne connait pas l’issu) et un projet qui aboutira avec certitude à une publication (et donc un projet inintéressant - au moins pour ma discipline, mais sans doute pour beaucoup d’autres) il aura tout intérêt à choisir le deuxième. Au mieux, il travaillera sur le premier pendant deux ans, puis, la date de l’évaluation approchant, il passera au deuxième sur les deux années suivantes s’il n’a pas aboutit (les deux dernières années sont donc perdues pour la recherche…).
Pour améliorer l’efficacité de la recherche, vous pouvez ajouter une autre idée : réserver les financements à des projets séléctionnés. Conséquences :
- vos chercheurs passent maintenant du temps à écrire des projets (il faut le faire soigneusement pour être sélectionné). Dans certaines disciplines, vous trouverez des chercheurs affirmant passer la moitié de leur temps à cela (chercher de l’argent).
- les chercheurs les plus brillants passent de plus du temps à évaluer le projet des autres…
Cumulez tous ces temps passés à prouver que l’on fait de la bonne recherche ou que l’on va faire de la bonne recherche. Constatez que cela n’est pas de la recherche. Demandez-vous maintenant si l’efficacité est supérieur à 80%. Je suis convaincu que non.
J’espère sincèrement une réponse de votre part.
Cordialement
De NF2000 - 06/02/2009
Si, Monsieur, les enseignants-chercheurs ont des raisons de s’opposer.
Et pas uniquement sur la question de leur statut.
Les enseignants-chercheurs et les étudiants s’opposent aussi à d’autres « réformes », « décrets », « propositions »:
- le monde universitaire s’oppose ainsi AUSSI à la réforme des concours de recrutement des enseignants non du supérieur mais du SECONDAIRE et du PRIMAIRE.
Les universitaires luttent contre l’attaque contre le principe des concours pour recruter les professeurs : principe avec certes des ratés, des difficultés, mais principe égalitaire.
Ils luttent pour que ces concours restent ouverts à tous : limités selon uniquement un critère de niveau universitaire bac + 3 ou bac + 4) et non pas insérés dans des « masters » qui vont rendre impossible à certains étudiants et personnes aux parcours sinueux de se présenter à ces concours.
Ils luttent pour éviter que de ces « masters enseignement », au demeurant impossibles à effectuer pour les futurs étudiants et tout simplement délirants dans leur format, que de ces masters enseignement sorte un vivier de « reçus-collés » : étudiants diplômés mais non reçus au concours. Une main-d’oeuvre sans statut toute prête à être employée par les collèges et lycées pour pas cher, sur des CDD, une main-d’oeuvre jetable pour effectuer tout un tas de tâches dans les collèges, lycées et écoles primaires.
Les universitaires ici ne défendent pas certains de leurs acquis, ils luttent pour maintenir une éducation secondaire et primaire publique gratuite de qualité : des conditions de travail décentes pour les futurs enseignants dans les collèges, lycées et écoles primaire ; et par conséquent pour maintenir des collèges, lycées, et écoles publiques de qualité pour les futures têtes blondes.
Monsieur, dans ce mouvement des universitaires, ne faites pas SEMBLANT d’oublier une partie des revendications. Les universitaires défendent ici un système d’enseignement public qui, malgré ses défauts, fait se preuves dans de nombreux domaines jusque là.
Les universitaires ne s’opposent pas seulement à la semi-privatisation de l’université, ils s’opposent à ce qui se profile Clairement dans l’avenir : l’affaiblissement continu de l’éducation publique et la montée en puissance des écoles privées qui en découlera.