Finance internationale : spéculation, pillage et jeux de pouvoir

Publié le par benedicte

Finance internationale : spéculation, pillage et jeux de pouvoir


Un article de Bruno Adrie, entièrement reproduit ci-dessous, "Le bonheur des pirates en smoking fait de plus en plus le malheur des cochons" concernant les tenants et aboutissants de la spéculation actuelle sur le pétrole et la nourriture, qui pose bien les mécanismes qui en sont responsables et que j'ai eu un véritable plaisir à lire !

En parallèle un article de Jean Ziegler, sur le même sujet, "Ceux qui volent le droit à la nourriture", également reproduit ensuite, qui me laisse perplexe quand à son approche du problème.

La spéculation certes ! Mais la spéculation ne sort pas de nulle part, elle n’existe pas en soi, etc… elle fait partie du système, elle est le fondement du système, et ce système est mis en œuvre et profite à des personnes, qui l’orchestrent consciemment. Jean Ziegler est à l’intérieur du système en étant consultant de l’ONU … et il ne le comprend pas ? Il s’étonne que le sommet de la FAO ait été un échec ? … Ce sont les mêmes qui détiennent le système économique privé, le FMI, l’ONU, corrompent les politiciens de toutes les nations, etc… C’est comme s’il s’était attentu que le Medef prenne la décision de mettre en œuvre une politique sociale et le revenu d’existence pour tous !

Si les constats que peut faire Jean Ziegler, sont justes, ce n’est qu’un premier niveau, sa croyance probable dans les institutions internationales, ou sont incapacité à envisager qu’elles font partie du système et n’ont jamais eu pour objet de le transformer, mais seulement d’établir des règles du jeu à l’usage de ceux qui pillaient la planète, font qu’il ne pose pas les pourquoi ?, qui s’imposent pour chercher à comprendre comment nous pouvons sortir de là.


Ce système ne peut être réformé de l’intérieur, car son accès est réservé et les citoyens sont totalement exclus de son fonctionnement. Il faut dont le voir tel qu’il est, identifier les différents échelons qui le font fonctionner, et qui en profite, pour comprendre pourquoi et le faire tomber, afin de construire autre chose.

Car il n’est ni régulable, ni réformable, ses bases même sont causes de la situation actuelle : l’avidité érigée en seule règle, le pillage et l’accumulation en soi, sans autre raison d'être qu’être celui qui amasse le plus et avec pour corollaire un droit de détruire ce qui fait obstacle à cette accumulation …

Cette logique si le système pouvait aller à son terme, dans un environnement inerte, ce qui n’est pas le cas, aboutirait à ce qu’il n’en reste qu’un ! ... qui n’aurait plus qu’à mourir lui(elle)-même … comme dans Highlander (lol .. d’ailleurs on ne sait pas vraiment pourquoi il est supposé en rester qu’un !).
Il ne s’agit pas d'une logique de construction et d’évolution, mais d'une logique de destruction et d’anéantissement.

Notre environnement n’étant pas inerte, et notre vie étant lié à cet environnement, la disparition programmée de la biodiversité qui le compose, ne permettra pas au système d’aller jusqu’au bout, la désertification de notre environnement et l’état de chaos de la biosphère, élimineront les joueurs et leurs pions, avant la fin du jeu !

C’est aux pions (ou aux cochons comme dirait Bruno Adrie) justement, c’est à dire nous, de comprendre pour ne plus nous laisser manipuler par les joueurs (ou aux pirates en smoking) … parce que sans pions, le jeu n’est plus possible et serait stoppé net !



Parenthèse : Je vous suggère la lecture du livre de John Brunner « La ville est un échiquier », édition en poche, Pocket SF, il s'agit d'un thriller politique de science-fiction, paru en 1965 (et oui, ça date mais toujours d’actualité quand au propos)

Résumé :
Ciudad de Vados est l'orgueil de la république d'Arguazul.
Cette mégapole futuriste, surgie du néant au beau milieu d'un pays imaginaire d'Amérique centrale, est l'œuvre d'un groupe de promoteurs, d'architectes et d'urbanistes venus de tous pays.
Grâce à elle, le président Vados espère passer à la postérité.
Pourquoi fait-il encore appel à un expert international en matière de trafic urbain ?
Boyd Hakluyt est-il vraiment chargé de résoudre un problème de circulation ?
Et s'il s'agissait plutôt d'éliminer le bidonville qui, en plein cœur de la cité, rappelle de façon gênante la misère du peuple d'Arguazul et ternit les rêves de grandeur du dictateur ?
Peu à peu, Boyd découvre qu'il est manipulé comme une simple pièce dans un jeu dont la signification lui échappe.
Quel est l'enjeu de cette partie impitoyable où tous les coups sont mortels ?

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La partie d'échecs du roman est une des rencontres du match de championnat du monde opposant Steinitz à Tchigorine à la Havane en 1892. La trame de fond est inspiré des dictatures sud-américaines (références à Borges, llosa et surtout Marquès).
(sources : La ville est un échiquier et Littérature: La ville est un échiquier de John Brunner)

Une critique personnelle d’un lecteur :
Littérature: La ville est un échiquier de John Brunner

(Je ne suis pas d’accord avec ce qui dérange certains lecteur de Brunner et qu’ils considèrent comme étant une absence de prise de position. Je ferais un article plus tard, sur les visionnaires de la SF.)



Prix du Pétrole et Spéculation
Le bonheur des pirates en smoking fait de plus en plus le malheur des cochons
par Bruno Adrie

Mondialisation.ca, Le 9 juin 2008
Michel Collon info le 22 mai 2008

22 mai 2008 . Sur lemonde.fr du 21 mai, une dépêche de l'AFP clignotait comme une machine à sous en parturition de gros lot en annonçant le prix record de 130 dollars pour un baril de pétrole brut.

Selon les journaux à grand tirage et les agences de presse, la flambée des prix du pétrole serait due à des facteurs incontrôlables. Ces facteurs invoqués et inlassablement repassés de bouche en bouche sont l'accroissement de la demande des pays émergents, l'insuffisance de la production par rapport à la demande et le refus de l'Arabie et de l'OPEP en général d'augmenter leur production, sans compter les catastrophes naturelles et l'hostilité de certains pays qui rendent les approvisionnements incertains. Dans un article du Monde du 20 mai dernier, un journaliste affirmait que "le pouvoir de marché a changé de camp" et que "l'évolution du baril se joue dans les couloirs du Kremlin et les méandres du pouvoir iranien, dans les mangroves nigérianes et sur les bords de l'Orénoque vénézuélien, dans les couloirs viennois de l'OPEP et les salles du New York Mercantile Exchange. Et surtout dans les palais saoudiens."

Mis à part le fait qu'on croirait entendre ici le refrain trop long d'une chanson écrite par un Henri Salvador ressuscité et lassé pour de bon de Syracuse, de l'Île de Pâques et de Kairouan, la question mérite d'être approfondie car nous ne pouvons nous contenter d'arguments insuffisamment développés qui ressemblent à une liste de causes additionnées à la va-vite dans un manuel d'Histoire destiné à de futurs bacheliers.

En juin 2006, le sénat américain a publié un rapport intitulé Le rôle de la spéculation dans l'augmentation des prix du pétrole et du gaz . Résultat de cinq années de recherches, ce document a été conçu dans le but de fournir au gouvernement fédéral une vue d’ensemble des marchés sur lesquels sont définis les prix des hydrocarbures.

En novembre 2005 le sénat français a commandé la rédaction d'un rapport intitulé Rapport d'information fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification sur les perspectives d'évolution du prix des hydrocarbures à moyen et long termes . Il a été rédigé pour répondre à trois objectifs : d'abord, prendre de la distance par rapport aux commentaires des media, jugés partisans, mal documentés et peu fiables, ensuite, élaborer des projections propres à cette étude et, enfin, mesurer l'impact de la hausse des prix du pétrole sur l'économie mondiale.

Le rapport du sénat américain rejette d'emblée l'explication selon laquelle l’émergence de la Chine et de l’Inde, devenues de gros consommateurs de produits pétroliers, serait l'une des causes des augmentations de prix. En effet, au fur et à mesure que la demande mondiale a augmenté, la production de pétrole et de gaz l'a devancée, ce qui a toujours eu pour effet de maintenir l’offre au-dessus de la demande. Des propos des hauts responsables pétroliers Lord Browne et Lee Raymond sont cités qui valident les conclusions du sénat. Quant au Département Américain de l'Énergie, il a établi des prévisions assurant que l'offre restera supérieure à la demande au moins jusqu'à 2010. Les menaces sur l’approvisionnement ou les catastrophes naturelles sont aussi écartées à l'heure d'expliquer la flambée incontrôlée des prix des hydrocarbures. Les vraies raisons se situent, comme nous allons le voir, au cœur du système, qui a offert, depuis peu, des facilités nouvelles à ceux qui souhaitent tirer des bénéfices substantiels de l'achat et de la vente de matières premières.

Il existe plusieurs types de pétrole brut. Les deux principaux sont le West Texas Intermediate (WTI) américain caractérisé par sa légèreté et le North Sea Brent (désigné par le terme Brent), européen, qui sert de référence non seulement en Europe mais aussi en Asie et en Afrique. Ce dernier est plus lourd que le WTI.

Comme le rappelle le rapport du sénat français, le marché du pétrole est schématiquement composé du marché physique et du marché papier.

Le marché physique englobe deux types de marchés : le premier est le marché spot c'est-à-dire au comptant sur lequel ont lieu les transactions physiques à livraison immédiate ou quasi immédiate. Sur ce marché opèrent les producteurs privés ou publics et les négociants. Le second est le marché à terme (en anglais: forward). Sur ce dernier s'effectuent des transactions physiques à livraison différée.

Le marché papier comprend deux marchés : le marché des futures et le marché des OTC (des gré à gré, en anglais: Over The Counter). Sur ce marché "s'échangent des intentions d'achat ou de vente futures à un prix immédiatement fixé ".

Le rapport du sénat français fait remarquer que "depuis quelques années la part respective des différents marché a considérablement évolué. Aujourd'hui , les transactions sur le marché physique représentent 165 millions de barils par jour; celles sur le marché des futures, 500 millions de barils par jour et celles sur le marché des OTC, 1 milliard de barils par jour. Les volumes d'échanges sur le marché papier sont désormais neuf fois plus importants que ceux sur le marché physique ."

Le rapport du sénat américain affirme quant à lui que « depuis quelques années de grosses institutions financières, des hedge funds, des fonds de pensions et d’autres fonds d’investissement ont déversé des milliards de dollars dans les marchés des matières premières énergétiques .»

L'information commune aux deux documents est donc que depuis quelques années les marchés papiers, plus spéculatifs, ont pris du volume tant en valeur absolue qu'en valeur relative dans le cadre du commerce mondial de pétrole brut.

Aux Etats-Unis, le principal lieu d'achat vente de pétrole brut est l'immeuble du New York Mercantile Exchange (NYMEX) où les compagnies envoient leur propres courtiers. Une loi sur les matières premières désignée par le sigle CEA (Commodities Exchange Act) réglemente le commerce des contrats futures afin de protéger les acheteurs et les consommateurs des dérives et des emballements de la spéculation . Une instance appelée CFTC (Commodity Futures Trading Commission) a été désignée pour faire appliquer le règlement et surveille l'ensemble des transactions effectuées au NYMEX. Comme le rappelle le rapport américain, "l'une des principales responsabilités de la CFTC est d'assurer que les prix restent conformes à la loi de l'offre et de la demande plutôt qu'à des pratiques manipulatrices et à un excès de spéculation."

Jusqu'en 2006, les transactions sur le WTI avaient systématiquement lieu sur des places américaines et étaient donc systématiquement surveillées par la CFTC. En 2000, une demi douzaine de banques d'investissements et de compagnies pétrolières ont donné naissance à l'Intercontinental Exchange (ICE). Basé à Londres, il permet de pratiquer des échanges électroniques OTC. Selon le rapport du Sénat américain, les participants à l'ICE sont les plus grosses sociétés mondiales ainsi que de grosses institutions financières. S'y retrouvent des producteurs et des raffineurs de pétrole et de gaz, des sociétés des secteurs de l'électricité, de la chimie et des transports, des banques et des hedge funds. Contrairement à ce qui se passe pour les transactions futures effectuées par le NYMEX, celles qui sont réalisées par le biais de l'ICE ressemblent à des futures mais n'en sont pas. On les connaît sous le nom de futures look alikes. À la différence des futures, elles ne sont pas surveillées et ne donnent lieu à aucun rapport de la part des compagnies et de leurs courtiers auprès de la CFTC .

Or, en janvier 2006, l'ICE a commencé à être le théâtre de transactions de WTI. En avril de la même année, L'ICE a informé la CFTC qu'elle autorisait les courtiers américains à utiliser ses terminaux pour l'achat vente de WTI. D'importants flux de capitaux ont alors été détournés du NYMEX et ont privé la CFTC de sa capacité de contrôle et de supervision. Le rapport du sénat américain précise que la CFTC a perdu beaucoup de précision dans son appréciation de la situation et que les données qu'elle a continué de collecter étaient devenues inutiles.

Ce changement décisif n'est pas le fruit du hasard et répond à une volonté manifeste des gros investisseurs d'échapper à toute surveillance. La création de l'ICE est un acte lourd de signification. Grâce à ce nouveau canal de transaction, les gros investisseurs ont les coudées franches et peuvent engranger des gains sans précédents. Le rapport américain insiste sur le fait que même s'il est difficile de quantifier les effets de ces gros apports de capitaux sur les prix des hydrocarbures, il est cependant irréfutable qu'il existe entre eux un rapport de cause à effet. Selon ce même rapport, "plusieurs analystes ont estimé que les achats spéculatifs de pétrole brut ont ajouté de 20 à 25 dollars à son prix normal, faisant monter de ce fait le prix du pétrole de 50 à environ 70 dollars par baril ."

Même si aucun schéma explicatif parfaitement détaillé n'a vu le jour à ce sujet, les auteurs du rapport américain pensent que l'augmentation des prix à venir du pétrole a précipité les achats actuels par les raffineurs, qui, soucieux de prévenir l'inflation, ont grossi leurs stocks de façon considérable. Ceci signifie que la spéculation sur les contrat futures et OTC a provoqué une augmentation de la demande en temps réel, réduisant de ce fait la marge de production de sécurité que se donnent les pays producteurs de pétrole, ce qui par conséquent alimente l'inquiétude des marchés et accroît les prix. Alan Greenspan lui-même l'a expliqué devant le Congrès : "durant ces dernières années, nous avons assisté à une augmentation importante du marché pétrolier des contrats futures et des OTC". Cette "demande supplémentaire de la part de la communauté des investisseurs a provoqué une hausse anticipée des prix du pétrole ."

Le cas de T. Boone Pickens est plutôt révélateur du fonctionnement de la spéculation : T. Boone Pickens figure en première ligne du tableau des meilleurs courtiers 2005 à la page 26 du rapport du sénat américain. En 2005 il totalisait un gain de 1,5 milliard de dollars et son fonds, BP Capital, gérait alors plus de 5 milliards de dollars. On comprend l'importance de la rumeur et des annonces venant de lui et T. Boone Pickens ne se prive pas de jouer les oiseaux de mauvais augure. On peut lire à la page 25 du même rapport : "Monsieur Pickens parle régulièrement de la hausse des prix du pétrole brut et du gaz naturel sur les chaînes câblées financières. Les courtiers rapportent qu'à chaque fois que ceci se produit, l'intérêt spéculatif augmente sur les marchés énergétiques de futures ." Or récemment, il a prévu un baril à 150 dollars avant la fin de 2008. Pour les analystes cités par le Oil and Gas Journal de telles déclarations "ressemblent plus à des objectifs à atteindre qu'à des prévisions" . Monsieur T. Boone Pickens semble cultiver l'affolement calculé des marchés afin de faire fructifier ses placements. Il parie sur la hausse, donc il faut que ça monte. Conséquence selon William Engdahl : aujourd'hui, ce ne sont plus 20 ou 25% mais 60% du prix du baril qui sont dus aux manœuvres des spéculateurs . Nous assistons au développement d'une bulle spéculative.

Les responsables de cette bulle, que le rapport du sénat français qualifie de "troisième choc pétrolier" pourraient nous dire si William Engdahl se trompe de dizaine ou s'il a vu juste, mais ils ne le souhaitent pas. Leurs méthodes ne doivent pas faire l'objet de recherches ou d'enquêtes. Leurs mains sont en ce moment dans les poches de tout le monde mais aucune caméra bien pensante n'osera se braquer sur elles. Ces gens sont des pirates en smokings et ils naviguent sur des vaisseaux nommés Goldman & Sachs, Morgan Stanley, JP Morgan, Citigroup, BP Capital, Amaranth Advisors, Centaurus Energy, Tudor Investment. Experts dans l'art de tirer profit de la misère qu'ils engendrent, ils sourient lorsqu'ils entendent parler des palais saoudiens, des couloirs du Kremlin, des méandres du pouvoir iranien, des mangroves nigérianes, des bords de l'Orénoque vénézuélien, des couloirs viennois de l'OPEP et même, comme nous venons de le voir, des salles du New York Mercantile Exchange (NYMEX).

Contrairement à Martin Wolf qui écrivait en pleine crise des subprimes en mars 2008 que "le capitalisme mondial et libéral est mort" , nous avons des raisons de croire que tout n'est pas perdu pour nos pirates en smokings qui continuent de se gaver de dollars en plantant leurs griffes dans tous les porte-monnaie de la planète. Habiles à privatiser les gains, à nationaliser les pertes et à semer à tous vents l'ignorance par le truchement des hauts fourneaux de la presse à grand tirage, ils rient aux éclats lorsqu'ils entendent le nouvel hymne à la moralité financière chanté avec une voix de fausset par l'humaniste Jacques Delors.

Quant à nous, bétail jamais assez flexible et toujours trop exigeant, nos revendications maladroites et crottées, lorsqu'elles arrivent aux oreilles de la presse, font le même effet que l'irruption d'un clochard traînant la savate dans les allées de gravier d'un jardin dessiné par Le Nôtre. Lorsqu'ils nous entendent frapper aux carreaux du château, les journalistes tournent aussitôt des regards de laquais effarés vers leurs maîtres qui les interrogent : "Mais qui est-ce?" Alors en étouffant un hoquet, ils prononcent le mot magique, l'incantation suprême qui résume tout et chasse la crainte par le mépris :
- C'est la grogne, Monseigneur.
- La grogne?
- Oui, Monseigneur, la grogne."

Car, selon eux, nous grognons… comme des cochons! 

 



Ceux qui volent le droit à la nourriture
par Jean Ziegler - Le 3 juin 2008 - Il manifesto

Les causes qui ont déclenché la crise actuelle de la production alimentaire ont, par différents aspects,  engendré une violation du droit à la nourriture.

L’an dernier, de février 2007 à février 2008, le prix du blé sur le marché international a augmenté de 130%, celui du riz de 74 %, celui du soja de 31 %. En moyenne pendant cette période, le prix des produits de première nécessité a augmenté de plus de 40%.

Trois aspects préliminaires importants sont à considérer. Avant tout : des pays forts comme l’Inde, la Chine, l’Egypte et quelques autres sont actuellement en mesure de fournir à leur population les aliments de première nécessité, même si le processus ne perdurera pas à long terme. Mais la plus grande partie des pays plus pauvres n’a pas la même capacité. Haïti consomme en général annuellement 200 mille tonnes de farine et 320 mille de riz. 100 % de la farine consommée est importée, ainsi que 75 % du riz. Entre janvier 2007  et janvier 2008, le prix de la farine à Haïti a augmenté de 83 % et celui du riz de 69%. Six des neufs millions  de Haïtiens vivent dans des conditions d’extrême pauvreté. Nombre d’entre eux sont réduits à se nourrir de galettes mélangées à de la boue.

En deuxième analyse, les accords pour l’exportation prévoient qu’environ 90 % des produits de première nécessité soient vendus « free on board » (Fob) – coûts de transports à la charge de l’acquéreur. Certains, mais une minorité seulement, sont vendus « Cost, insurance and freight » Cif) – coûts de transports à la charge du vendeur. Ce qui signifie qu’on doit  généralement ajouter le prix du transport au prix déjà très élevé que les produits alimentaires  ont atteint  dans le monde : ce qui empire la situation à cause du prix du pétrole.  Par exemple,  de nombreux pays d’Afrique occidentale comme le Mali, le Sénégal et d’autres, importent  jusqu’à 80% de leurs denrées alimentaires de l’étranger, surtout le riz, de Thaïlande et du Vietnam.

Troisième point, la tragédie menaçante de l’augmentation des prix  exacerbe une tragédie déjà en acte, celle de la faim, qui, en 2007, a tué six millions d’enfants de moins de dix ans.  Tandis que nous parlons de la nouvelle crise des produits alimentaires, une crise déjà installée va son chemin. Les statistiques de la World Bank (Banque internationale pour la reconstruction et le développement, ou Birs) disent que 2,2 milliards de personnes  vivent dans des conditions d’extrême pauvreté où les coûts de nutrition absorbent 80 à 90 % du revenu familial. En Europe, la proportion change : seulement 10 à 15 % du revenu est utilisé dans un but nutritif. La situation des pauvres, dont beaucoup vivent dans des centres urbains, est donc celle–ci : à cause de l’anormale augmentation des prix, ces gens glissent peu à peu dans l’abîme de la faim.

Quelles sont les principales causes des graves violations des droits à la nourriture consécutives à l’augmentation des prix ? Et quelle est la cause d’une telle augmentation ?

L’une des principales causes est la spéculation, qui a lieu surtout à la Chicago commodity stock exchange (Bourse des matières premières agricoles de Chicago), où sont établis les prix de quasiment tous les produits alimentaires du monde. Entre novembre et décembre 2007, le marché financier mondial s’est écroulé, et plus de mille milliards de dollars investis sont partis en fumée. En conséquence de quoi, la majorité des grands spéculateurs, comme ceux qui investissent en hedge funds, ont fini par investir en options et futures sur les produits  agricoles bruts et sur les denrées de première nécessité.  

En 2000, le volume commercial des produits agricoles aux diverses Bourses se montait à 175 milliards de dollars. Rien que dans le mois de janvier 2008, quand a commencé cette inversion de la tendance, 3 milliards de nouveaux dollars ont été investis à la Chicago commodity stock exchange. Tous les produits de première nécessité sont, de plus, contrôlés par au moins huit grandes multinationales. La plus grande société qui commercialise le blé est Cargill, dans le Minnesota, qui contrôlait, l’an dernier, 25 % de tous les céréales produits dans le monde. Les profits de Cargill au premier trimestre 2007 ont atteint 553 millions de dollars. Au premier trimestre 2008, ils ont atteint un milliard et 300 millions. Il est difficile de calculer exactement l’influence de la spéculation sur l’augmentation des prix. La World Bank fait une estimation quoi tourne autour de 37%. Heiner Flassbeck, le directeur de la Division  Stratégies globalisation et développement de l’Unctad (United nations conference on trade development), affirme que ce pourcentage peut tranquillement être doublé.

La deuxième cause  de l’explosion des prix est la destruction massive des produits comme le céréales et le maïs à des fins de production de bioéthanol et biodiesel (agro carburants). Rien que l’an dernier, les Etats-Unis d’Amérique ont incinéré 138 millions de tonnes de maïs, c’est-à-dire un tiers de la récolte annuelle, pour le transformer en bioéthanol. Et la  Communauté européenne prend la même direction. John Lipsky, le numéro deux du Fonds monétaire international, soutient que l’utilisation des produits agricoles dans la production du bioéthanol, en particulier le maïs, est responsable de l’augmentation des prix des produits alimentaires pour au moins 40%.

 Mais les programmes de révision du FMI et les politiques de l’Organisation mondiale du commerce ne sont certes pas moins responsables de cette augmentation néfaste. Pendant de nombreuses années ces organisations ont donné la priorité à l’exportation de produits comme le coton, le sucre de canne, thé, café, arachides, et cela a engendré de dangereuses  négligences de fond au détriment de la « food security », la sécurité alimentaire. L’an dernier, par exemple,  le Mali exportait  380 mille tonnes de coton et importait 82% de ses produits alimentaires. Cette politique agricole erronée imposée aux pays en voie de développement est aujourd’hui en grande partie responsable de la catastrophe, parce que les populations intéressées ne sont pas en mesure de se permettre les coûts très élevés des denrées alimentaires.

Ceci dit, il est évident que le Conseil des droits de l’homme de l’Onu peut se manifester et jouer un rôle essentiel dans la solution d’un problème tellement grave qu’il ne pourra, dans les années qui viennent, qu’empirer.

Pour résoudre la crise, certains suggèrent les solutions suivantes :

1)      la spéculation doit être régulée. L’Unctad affirme que les prix des produits de première nécessité ne doivent pas être sujets aux spéculations en Bourse, mais devraient être établis par des accords internationaux entre pays producteurs et pays consommateurs. La méthode de l’Unctad pour réguler ces accords à travers buffers stocks (provisions tampons)  et stabex (system for the stabilisation of export, fond de stabilisation des bénéfices des exportations en faveur des pays d’Afrique-Caraïbes-Pacifique) pourrait être une solution. La solution complémentaire est de réformer de façon drastique les règles des futures et des options au moyen de normes qui permettent de contrôler les abus les plus graves.

2)       Une autre solution au problème est d’interdire de façon absolue la transformation des produits agricoles en biocarburants. La facilité de mouvement concédée au Nord de la planète par l’utilisation de centaines de millions d’automobiles ne peut  pas être à la charge des populations affamées et privées de la plus élémentaire subsistance uniquement parce qu’ils habitent la partie la plus basse de cette même planète.

3)       Les institutions de Bretton Woods et l’Organisation mondiale du commerce pourraient changer les paramètres de leurs politiques dans l’agriculture et donner une priorité absolue aux investissements dans les produits de première nécessité, y compris les systèmes d’irrigation, les infrastructures, les semences, les pesticides et cætera. Les travailleurs de la terre et leurs produits ont été négligés pendant trop longtemps. La situation qui voit les agriculteurs marginalisés et discriminés dans leurs droits doit être changée au plus tôt. Les nations, les organisations internationales et les agences pour le développement bilatéral doivent donner une priorité absolue aux investissements sur les produits agricoles primaires et sur la production locale.

 4) Enfin, il y a un problème de cohérence. De nombreux pays qui font partie du  International covenant on economic, social and cultural rights (Convention internationale des droits économiques, sociaux et culturels) sont aussi membres des institutions de Bretton Woods et de l’Organisation mondiale du commerce. Quand leurs représentants votent au Conseil exécutif du Fmi et au Conseil de gouvernement de la Banque mondiale, ils devraient  donner une priorité absolue aux droits de l’alimentation et tenir compte des suggestions ci dessus. Et pour les examiner à fond, il serait aussi utile que le Conseil établisse de donner mandat au Conseil Consultatif de la Commission.

Edition de vendredi 30 mai 2008 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/30-Maggio-2008/art5.html

Traduit de la version italienne (Silvana Pedrini) par Marie-Ange Patrizio
Jean Ziegler est membre de la Commission du conseil consultatif Onu pour les droits humains.

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C
Bravo Béné : AIR FARCE ONE , je plébiscite.bises
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B
<br /> Ce n'est pas de moi, c'est ce qui était marqué déjà dans le message parlant de concours de résistance2012 et je trouve qu'il ou elle a déjà trouvé la bonne formule pour laquelle je vote également<br /> :) Bises<br /> <br /> <br />
R
"Les caisses sont vides" dixit Sarko and Fillon.Le futur "Air Force One" de Sarkozy ?http://secretdefense.blogs.liberation.fr/defense/2008/06/le-futur-air-fo.htmlOn lance un concours pour trouver un nom à ce futur Air Farce One ?
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B
<br /> Il me semble déjà trouvé "Air Farce One" lui va comme un gant, je ne suis pas sûre qu'on puisse faire mieux :) ... amicalement<br /> <br /> <br />