Betapolitique : Selon Mediapart, le plan de rigueur préparé par Sarkozy est pire encore que ce que dénonçait la gauche
Gérard Desportes et Laurent Mauduit - le 18 mars 2008
Même si le gouvernement a nié qu’un plan de rigueur était prêt pour entrer en vigueur sitôt le scrutin achevé, une cascade de réformes vont être engagées, dès les prochains jours, plus amples encore que ne le soupçonnait la gauche. Réforme de l’Etat, refonte des impôts, réformes du marché du travail et des retraites : Nicolas Sarkozy a choisi de forcer l’allure. Mediapart a mené l’enquête.
Tout au long de la campagne des élections municipales, la gauche a fait grief au gouvernement de tenir secret un plan de rigueur, prêt à entrer en application sitôt le scrutin passé. Ce dont le gouvernement s’est défendu, assurant qu’on lui faisait un mauvais procès. Pourtant, le plan existe, massif, coordonné, auquel travaillent l’Elysée et le gouvernement depuis de longues semaines et qui va entrer en oeuvre dés les prochains jours. Un plan englobant des réformes peu ou pas du tout évoquées durant le débat électoral de ces dernières semaines.
Pourtant, François Fillon et nombre de ses ministres n’ont pas tort de se récrier et jouer avec le mot. Parce que ce qui se prépare n’est pas un plan de « rigueur » à l’identique de celui mis en oeuvre par les socialistes lors du virage des années 1982-1983 par exemple. Il s’agit plutôt d’un plan de réformes « structurelles » - comme disent les experts -, c’est-à-dire d’un ensemble de mesures transformant en profondeur l’architecture même de l’administration ou certaines règles de la protection sociale. Et il n’y a pas que les services publics ou le train de vie de l’Etat qui seront touchés. De la réforme du régime général des retraites, avec le passage aux 41 ans d’activité, jusqu’à une possible suppression pure et simple de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF)[3], l’augmentation de certaines taxes, en passant par la remise en cause de nombreuses aides sociales, la « banalisation » du Livret A ou encore la privatisation partielle, dans les tous prochains mois, d’Areva, le champion du nucléaire français, le plan de travail du gouvernement va être musclé.
Certes, d’autres mesures sont dans les tuyaux et viendront compenser l’âpreté de ce qui précède, en matière de pouvoir d’achat (le SMIC, l’intéressement), de redéploiement de certains crédits (les 500 millions d’euros du plan banlieue par exemple), d’aide aux entreprises et de droits nouveaux pour certains salariés parmi les plus précaires. N’empêche, si le gouvernement va au bout de ses intentions, la France va connaître un des bouleversements les plus radicaux de son histoire.
Avant d’en dresser l’inventaire, encore convient-il de garder à l’esprit trois éléments de contexte. Un : la conjoncture économique s’avère plus dégradée que ne le pensait le gouvernement à l’automne dernier. A l’époque, quand le projet de loi de finances pour 2008 a été débattu par le Parlement, il reposait sur des hypothèses économiques plutôt favorables : un baril de pétrole à 73 dollars ; un euro à 1,37 dollar ; et, au total, une croissance de l’économie française en 2008 comprise entre +2% et +2,5%. Or, dans l’intervalle, sous le coup notamment de l’entrée en récession des Etats-Unis, la conjoncture mondiale s’est fortement assombrie. Et la conjoncture française en a été affectée. En bref, avec un baril à plus de 110 dollars, un euro qui a grimpé jusqu’à 1,55 dollar et une croissance française qui ne devrait guère dépasser 1,5%, les finances publiques vont en faire lourdement les frais.
La contrainte de la dette
Deux : la dette publique hante les esprits, notamment celui de Nicolas Sarkozy qui ne rate jamais une occasion de pointer les 1.100 milliards d’euros que le budget se traîne, et il n’est pas étonnant que Michel Pébereau, le président du conseil d’administration de BNP Paribas, l’auteur d’un rapport véhément sur le sujet ait été impliqué dans ce qui se mijote.
Trois : nos partenaires européens commencent à perdre patience et exigent que la France se remette dans une conformité budgétaire compatible avec les traités et l’esprit dans lequel les 27 sont tombés d’accord pour maintenir la croissance sur le vieux continent.
Du coup, la gauche a tort d’estimer à 20 milliards d’euros le plan en question. En fait, c’est un ensemble beaucoup plus vaste, dans son ampleur et sa durée, qui est en gestation et qui va très au-delà du seul volet des finances publiques. En voici les grandes lignes :
La Révision Générale des Politiques Publiques.
Lancée le 10 juillet 2007, par Nicolas Sarkozy, cette « RGPP » fait peu parler d’elle. Après une première vague d’une centaine de mesures annoncées le 12 décembre, elle débouchera en mai sur un second comité de modernisation qui s’annonce « salé » si l’on en croit les rares indiscrétions qui filtrent. Il s’agit pourtant non seulement du plus important plan social sur la période 2008-2012, mais de surcroît de la plus ambitieuse tentative de l’Etat de se réformer. Sans coup férir, la RGPP a déjà décidé la suppression du Haut Conseil de la Coopération Internationale ou de 30 des 35 directions du ministère de l’Ecologie, des services départementaux de Météo France ou le transfert des forces mobiles vers des tâches de sécurité publique.
Qui en a entendu parler ? Le secret ne doit rien au hasard : désireux de réfléchir « sans tabou » à des réformes potentiellement explosives et de les mettre en œuvre de manière coordonnée, ses promoteurs ont organisé les choses de telle sorte que rien ne filtre. Une à deux fois par semaine, un tout petit comité se réunit et pilote une cohorte d’auditeurs issus de la haute fonction publique mais aussi de cabinets privés ainsi que les services de Bercy, et passe au crible les budgets et les structures des trois fonctions publiques mais aussi les comptes sociaux. Présidé par Claude Guéant, secrétaire général de L’Elysée, et Jean-Paul Faugère, directeur du cabinet du premier ministre, ce comité de suivi comprend notamment, le ministre du budget, Eric Woerth, le rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, et son homologue du Sénat, Philippe Marini, le receveur général des Finances, Philippe Parini, et donc Michel Pébereau. Eric Besson, le secrétaire d’Etat en charge de l’évaluation des politiques publiques, est souvent de la partie.
L’objectif financier de l’exercice est clairement fixé. La France n’honorant pas son engagement européen d’amener ses finances publiques à l’équilibre en 2010, elle doit y parvenir au plus tard en 2012 [8]. Comme un simple plan d’austérité, fut-il de 20 milliards d’euros, n’y suffira pas, la « RGPP » constitue le moyen d’atteindre l’objectif. Le non remplacement d’un départ à la retraite sur deux, des mesures d’économies ici ou là permettent de crédibiliser la promesse française. D’après les experts- Nicolas Sarkozy lui-même à l’occasion du lancement de la démarche a suggéré un objectif de 150 milliards d’euros.
Mais ce n’est pas tout. Toutes les missions et fonctions de l’Etat, parfois même les valeurs, sont une à une passées en revue, en présence ou pas du ministre concerné. Les résultats des élections municipales ne changeront rien. Au contraire. « Pas de pause », a dit François Fillon. Le « reformatage global de la machine publique », selon l’expression de Philippe Marini à Mediapart, est en marche. Gilles Carrez est encore plus direct quand il prétend « porter le fer sur toutes les interventions publiques et notamment sur toutes les aides sociales ».
Le terme « rigueur » retrouve là une vigueur toute « barriste », du nom de l’ancien premier ministre. Ne faut-il pas envisager une mise sous conditions de ressources des allocations familiales ? Ou supprimer demi-part supplémentaire pour l’impôt sur le revenu accordé à un parent ayant élevé seul son enfant ? Peut-on convier les assurés sociaux à participer davantage au financement de leur propre couverture maladie ? Comment procéder à une remise à plat des aides au logement ? Voici, à titre d’exemples, quelques réflexions qui ont récemment été explorées par le comité de l’Elysée. Et à chaque fois, la même interrogation sous-tend le débat : « Cela contribue-t-il au déficit zéro » ? « Cette question est la monotone de chacun de nos rendez-vous », s’amuse Philippe Marini. On lira ici le détail de quelques uns des travaux engagés par le groupe de l’Elysée.
Le statut des fonctions publiques dans la tourmente
Dés ce mardi 18 mars, le Conseil supérieur de la fonction publique examine un projet de loi et les décrets afférents à la mobilité des fonctionnaires. Comme on le lira, cette démarche s’intègre complètement dans le cadre de la RGPP et peut déboucher dès cet automne sur une négociation avec les syndicats sur l’unification des trois fonctions publiques autour de la notion de métiers. Cassant les 1.000 statuts particuliers qui composent aujourd’hui l’administration.
La revue générale des prélèvements obligatoires. Dans le même mouvement, le gouvernement prépare une remise à plat totale de la fiscalité française. C’est la ministre des finances, Christine Lagarde, qui a été chargée de conduire cet audit complémentaire – baptisé, par symétrie, la « RGPO » dans les mêmes sommets du pouvoir. Là encore, les choses vont s’accélérer brutalement sitôt les élections passées. Il s’agira « de baliser une trajectoire fiscale », en clair de remettre un peu d’ordre et de visibilité. Aucune doctrine n’est encore précisément fixée à ce jour, mais le train libéral est lancé. Certains, même à l’UMP, s’en inquiètent. Ainsi, le rapporteur général du budget à l’Assemblée, Gilles Carrez, estime que si cette remise à plat fiscale doit concourir au même objectif que la « RGPP », le déficit zéro : « Il faudrait prendre la décision de ne plus baisser les recettes de l’Etat ».
Pour l’heure, ce n’est pas cette voie qui semble privilégiée. Un indice ne trompe pas. L’un des groupes de réflexion devra réfléchir aux problèmes de « compétitivité » et d’ « attractivité » du système fiscal français. On comprend le sous-entendu : trop lourd dans un contexte d’accélération de la mondialisation, le système français mériterait d’être allégé. Au ministère des finances, on est même beaucoup plus explicite, faisant valoir que le moment est venu, après d’innombrables tergiversations, de « se poser la question d’une suppression pure et simple de l’ISF ». D’autres pistes de réflexions sont aussi évoquées, dont on trouvera le détail ici.
Vers un quadruplement de la CRDS ? Selon l’article 20 de la loi organique relative aux lois de financement de la Sécurité sociale, « tout nouveau transfert de dette à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) est accompagné d’une augmentation des recettes de la caisse permettant de ne pas accroître la durée d’amortissement de la dette sociale ». Or, selon le dernier rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale, le déficit de trésorerie s’est élevé à 14,3 milliards d’euros. Le gouvernement est donc dans l’obligation de remonter la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), qui pèsent sur tous les revenus d’activité, de remplacement et du patrimoine. Assorti actuellement d’un taux d’imposition de 0,5% (pour un produit de 5,6 milliards d’euros), la CRDS aurait donc dû passer à près de 2%. Cette hausse qui n’est pas intervenue avant les municipales interviendra-t-elle juste après ? Le gouvernement y est légalement tenu.
Sauf à imaginer une autre solution : faire glisser ce déficit sur la dette de l’Etat. Ce qui serait budgétairement très hétérodoxe et très peu conforme aux engagements européens de la France, visant à ramener la dette publique sous le ratio des 60% de la richesse nationale, exigé par le traité de Maastricht. Mais il est vrai que dans le passé, il y a eu des entorses de ce type. La plus spectaculaire a été celle de 1994, année au cours de laquelle le déficit cumulé de la Sécurité sociale sur les trois années antérieures (110 milliards de francs) a été subrepticement glissé sur la dette. Le ministre du budget de l’époque, qui s’était prêté à ce tour de passe-passe budgétaire était un certain… Nicolas Sarkozy ! La loi de modernisation de l’économie
C’est un autre des grands chantiers sur lequel travaille le ministère des finances, et qui doit déboucher d’ici au printemps sur l’examen par le Parlement d’un projet de loi. Et là encore, les réformes envisagées risquent de créer de vifs débats, puisque parmi de nombreux autres volets (PME, nouvelles règles encadrant la grande distribution…), doit figurer la réforme, politiquement sensible, du Livret A. Le monopole de distribution confié depuis des lustres à La Poste et aux Caisses d’épargne serait supprimé. La gauche ne manquera pas d’y voir une menace sur le vieux système de rémunération de l’épargne populaire et sur le système de financement du logement social qui lui est associé. A l’initiative de nombreux syndicats et associations, une campagne intitulée "Pas touche au livret A" a ainsi récemment été lancée. Le projet comprend d’autres dispositions également très controversées comme un volet sur le travail dominical ou encore une réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations.
La nouvelle réforme des retraites. La loi Fillon de 2003, instaurant notamment l’extension au secteur public des 40 ans d’activité pour bénéficier d’une retraite à taux plein, prévoyait une clause de rendez-vous en 2008, notamment pour valider le passage à 41 ans d’activité pour le public et le privé la même année. Le gouvernement a donc attendu que les municipales aient lieu pour ouvrir ce dossier. Dès le début de la semaine qui vient, des contacts bilatéraux – il ne s’agit pas d’une négociation - doivent donc intervenir entre le ministre du travail, Xavier Bertrand, et les partenaires sociaux, sur cette nouvelle étape, et des dispositions complémentaires (avantages familiaux, petites retraites, pénibilité…).
Sur fond de grogne sur le pouvoir d’achat, ce dossier s’annonce lui aussi hautement délicat. Ce qui n’empêche pas certains membres du gouvernement de préconiser une position ultimatiste, comme la remise en cause (souhaitée par le Medef) de la retraite à 60 ans ; et même de toute référence à un âge légal. Un projet de loi doit être bouclé d’ici la fin du mois de juin.
Une cascade d’autres dossiers sociaux sensibles. Preuve que Nicolas Sarkozy veut décidemment avancer très vite, d’autres grands rendez-vous sociaux sont programmés en même temps. De longue date, le gouvernement fait pression sur les partenaires sociaux pour qu’ils anticipent dès ce printemps la renégociation de la convention d’assurance-chômage qui devait intervenir à l’automne – mais il n’est pas sûr que la crise de l’UIMM le permette. Le souhait du gouvernement serait de convaincre les partenaires sociaux de ponctionner les excédents de ce régime pour baisser les cotisations chômage, et, grâce à un système de vases communicants, de limiter la hausse des prélèvements retraite, le tout s’effectuant à prélèvements constants.
Le Parlement doit par ailleurs se saisir d’ici fin juin de l’accord, lui aussi très sensible, sur la « flexisécurité » survenu entre plusieurs centrales syndicales et le Medef, pour transposer le compromis au plan législatif . Le gouvernement pourra-il convaincre l’aile la plus radicale de sa majorité de n’amender qu’à la marge un texte dont les équilibres politiques sont très délicats ? La partie s’annonce difficile.
Par ailleurs, le gouvernement prépare un texte aussi délicat sur le temps de travail, notamment pour fixer définitivement les règles des heures supplémentaires et leur taux de majoration. Le projet est compliqué à de très nombreux titres : d’abord parce qu’il relancera inévitablement la polémique autour de la barre légale des 35 heures ; ensuite, parce qu’il repose sur un nouveau système d’accord majoritaire au sein des entreprises ; enfin parce que ce même système devra lui-même tenir compte des nouvelles règles de la représentativité syndicale, qui font l’objet de négociations entre les partenaires sociaux et sur lequel, d’ici l’été, le gouvernement doit légiférer.
Bref, entre le dossier sur la retraite, et tous ceux-ci, le gouvernement veut avancer tout au long du printemps en terrain miné, pour promouvoir des réformes dont certaines sont explosives.
Vers une privatisation d’Areva. A l’étude depuis de longs mois, la privatisation partielle d’Areva, le champion français du nucléaire, va être lancé. Le dossier est lui aussi hautement sensible. Parce qu’une telle privatisation, dans un secteur aussi stratégique, va évidemment susciter de très fortes controverses. Mais aussi parce que, parmi d’autres schémas possibles, Martin Bouygues, témoin de mariage de Nicolas Sarkozy avec Cécilia, et parrain de son fils, Louis, est l’un des industriels qui postulent à jouer un rôle-clef dans l’opération.