Villiers-le bel : réflexions en vrac sur l'appel à la délation ...
Villiers-le bel : réflexions en vrac sur l'appel à la délation ...
A Villiers-le-Bel plusieurs milliers de tracts ont été distribués dans les boîtes aux lettres disant ceci : "Si vous disposez de renseignements, merci d'appeler le numéro vert de la brigade criminelle au: 0800 33 60 98. L'appel est gratuit et votre anonymat sera préservé. Tout élément susceptible d'orienter favorablement les enquêtes en cours pourra faire l'objet d'une rémunération".
Aux journaux télé, la seule question évoquée a été celle de l’efficacité de la méthode : permettrait-elle ou non de recueillir des témoignages pour trouver les auteurs des tirs contre les policiers.
Toutefois, compte-tenu du climat régnant dans les cités, il est peu probable que les quelques témoins se précipitent pour témoigner. Soit par peur, malgré tout de représailles, car ils vivent dans les cités, en connaissent le fonctionnement et n’ont aucune confiance dans la police pour les protéger, soit, non par véritable solidarité avec les actes commis, mais par effet de corps, face à un état qui les a abandonné, une police vécue comme uniquement répressive, harcelante … et les doutes qu’ils peuvent avoir quand à la version officielle concernant l’accident.
Ce qui m’a interpellé est la quasi-absence de critique ou interrogation quand au procédé …
Déjà l’anonymat pose problème, puisqu’il n’y a pas de possibilité de confronter l’accusé et l’accusateur, et que l’être humain étant ce qu’il est, on sait toutes les petites haines, mesquineries et rancunes qui peuvent l’amener à accuser un de ses semblables, non parce qu’il est coupable, mais uniquement pour lui nuire, en toute impunité, en toute lâcheté. Le corbeau anonyme signe généralement « un bon français », « un citoyen qui fait son devoir », « un patriote », … prétendant donner à la bassesse de ses actes de « louables intentions ». Les régimes qui encouragent la délation « anonyme » et y prêtent foi, ont toujours été des régimes totalitaires, l’utilisant pour faire régner un climat de peur et paranoïa, propice à museler toute opposition, où l’on se méfie plus de son voisin encore que du policier, où tout ce qu’il y a de pervers frustrés en terme de pouvoir, peut se sentir puissant en détruisant la vie d’un autre tout en restant dans l’ombre protégé par le pouvoir en place, devenant autant d’auxiliaires zélés des tyrannies en place. : lors de la terreur de la révolution française, du régime collabo de Vichy, du stalinisme, du Maccarthysme, … ils ont proliféré parce que ces régimes les encourageaient à le faire, leur donnaient le « pouvoir » de s’en prendre à l’autre en toute impunité.
De plus il est question de rémunérer cette délation, « plusieurs milliers d’euros seraient proposés », cherchant à flatter la cupidité, tout en ayant un discours de civisme … comme si le civisme (souci du citoyen de privilégier les intérêts de la collectivité au détriment des siens propres) était une marchandise pouvant s’acheter et se vendre.
Dans une société où la justice est mise à mal, où l’on cherche à faire des coups médiatiques pour l’exemple, où règne une justice à 2 vitesses, où l’exclusion est criminalisée et où l’on attise l’antagonisme entre policiers et jeunes des cités … comment pourrait-on avoir confiance dans les vérifications de la véracité des témoignages, que seront impitoyablement éliminés ceux nourris par les haines ordinaires, l’appât du gain, pour éviter la mise en accusation d’un innocent, alors même que la méthode est une véritable incitation aux comportements haineux et cupides, un droit de nuire, érigé en devoir citoyen.
Faire appel à de tels procédés est révélateur d’une société dirigée par un pouvoir totalitaire qui dissimule de moins en moins son visage, sûr de son hégémonie. Mais le totalitarisme est forcément paranoïaque lui-même, hanté par la peur d’être renversé, voyant des ennemis partout, car bien que se prétendant légitime voire plébiscité, il sait que ce n’est pas le cas, que ce n’est que par la peur qu’il règne. On assiste donc à la fois à la distillation permanente d’un discours sur l’insécurité, permettant de masquer la mise en place d’un véritable flicage de la population, ne résolvant pas les problèmes mis en avant (ce n’est pas le but, bien au contraire, ces problèmes doivent perdurer pour servir d’alibi) mais accroissant le sentiment d’insécurité en instaurant un arbitraire d’état, face auquel l’individu se retrouve seul et sans défense.
Pour illustrer : vigipirate contre le terrorisme permettant d’interpeller toute personne « paraissant » suspecte et insinue que vous êtes entourés de terroristes dissimulés dans la foule, les caméras vidéos dans les villes qui ne vous empêcheront en aucun cas de vous faire agresser mais vous dit que le danger guette partout dans la rue, l’explosion des banlieues justifie les contrôles d’identité à répétition des jeunes, la justice arbitraire en comparution immédiate, l’appel à la délation, … et si vous vous élevez contre ces pratiques et dénoncez leur totalitarisme, alors qu’on ne cesse de vous répéter qu’elles ne visent qu’à défendre la démocratie des ennemis qui la menace … vous ne pouvez être que faire parti des ennemis de cette démocratie … la censure de la presse est déjà en-cours, les grévistes sont des preneurs d’otage, un immigré clandestin pourchassé comme un dangereux criminel, une analyse critique et argumentée fait de vous un complice soit des intégristes islamistes, soit d’une extrême-gauche totalitaire, etc… le débat-public, le droit de grève, les manifestations, la critique de la politique du gouvernement, la transparence de l’information … commencent à être déclarée comme anti-démocratiques.
Le totalitarisme de nos sociétés prétend justifier ses actes en se prétendant démocratie assiégée victime d’attaques extérieures et intérieures sournoises dont elle ne fait que se défendre.
On est dans le discours pervers, et j'ai du mal à exprimer de façon compréhensible la manière dont s'articule ce type de discours en général dont les mécanismes sont pourtant immuables et identiques quelque soit le sujet ... dont je vais m'arrêter là pour aujourd'hui, mais j'y reviendrais parce qu'il est important de ne pas se laisser pièger par ce discours manipulatoire, pour essayer de sortir de la confusion volontairement entretenue dans laquelle nous sommes vis à vis des problèmes que nous avons à résoudre.
Ci-dessous quelques articles sur le sujet de départ
Les mécanismes de la délation - De Solon à Nicolas Sarkosy
Sophie L. / jeudi 7 décembre 2006
Jusqu’en 1980, la France se trouvait encore sous le choc de la délation pratiquée sous le gouvernement de Vichy. Pendant cette période les Français avaient envoyé entre 3 et 5 millions de lettres de délation le plus souvent signées !.Après une épuration brutale qui épargna certains des collaborateurs les plus nocifs, et tapa plus fort sur des exécutants misérables l’heure fut à la réconciliation nationale. La France reste un des rares pays à ne pas avoir clairement remis en question cette page noire de son histoire. La revue « Autrement » ("autrement" no1474 un archaïsme une technique, un mode de gouvernement : la délation, ed.autrement novembre 1987) consacre à cette date un dossier à la délation ... Lire la suite >>
Sécurité : l'appel à la délation généralisée ?
Pauline Delassus / Marianne 6 décembre 2007
Pour lutter contre l'insécurité, des appels aux témoignages, parfois rémunérés, sont organisés. Dérive ou mal nécessaire ? ... Lire la suite >>
La délation anonyme et payée, y'a pas plus fiable
Ca se passe comme ça / mercredi 5 décembre 2007
En République sarkozyste, la police a trouvé mieux que les enquêtes de terrain, mieux que le renseignement humain réalisé dans les règles de l’art (indics, infiltrations, filatures, planques...) : les tracts appelant à dénoncer son voisin, de préférence de façon anonyme et rémunérée comme nous l’apprend Reuters. ... Lire la suite >>
Villiers: la police tracte pour acheter des témoignages
Par Chloé Leprince (Rue89) / 04/12/2007
La police promet "plusieurs milliers d'euros" pour toute info permettant d'arrêter les auteurs de coups de feu sur des policiers.
Payer ses indics n'est évidemment pas une révolution, pour la police. Sauf que, cette fois, c'est par des tracts distribués dans les boîtes aux lettres depuis le week-end dernier qu'elle recherche explicitement des témoignages moyennant rémunération ... Lire la suite >>
La plainte dématérialisée... et la délation institutionnalisée ?
Aporismes / mercredi 11 juillet 2007
Tout le monde ou presque a dû croiser, quelques jours après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence, la création d’un site web cruellement prémonitoire : celui du "Ministère du Civisme et de la Délation" (www.delation-gouv.fr).
Une « blague de potache » pour ses créateurs, mais qui devient de moins en moins drôle à la lumière du dernier discours public de la ministre de l’Intérieur ... Lire la suite >>
Aux journaux télé, la seule question évoquée a été celle de l’efficacité de la méthode : permettrait-elle ou non de recueillir des témoignages pour trouver les auteurs des tirs contre les policiers.
Toutefois, compte-tenu du climat régnant dans les cités, il est peu probable que les quelques témoins se précipitent pour témoigner. Soit par peur, malgré tout de représailles, car ils vivent dans les cités, en connaissent le fonctionnement et n’ont aucune confiance dans la police pour les protéger, soit, non par véritable solidarité avec les actes commis, mais par effet de corps, face à un état qui les a abandonné, une police vécue comme uniquement répressive, harcelante … et les doutes qu’ils peuvent avoir quand à la version officielle concernant l’accident.
Ce qui m’a interpellé est la quasi-absence de critique ou interrogation quand au procédé …
Déjà l’anonymat pose problème, puisqu’il n’y a pas de possibilité de confronter l’accusé et l’accusateur, et que l’être humain étant ce qu’il est, on sait toutes les petites haines, mesquineries et rancunes qui peuvent l’amener à accuser un de ses semblables, non parce qu’il est coupable, mais uniquement pour lui nuire, en toute impunité, en toute lâcheté. Le corbeau anonyme signe généralement « un bon français », « un citoyen qui fait son devoir », « un patriote », … prétendant donner à la bassesse de ses actes de « louables intentions ». Les régimes qui encouragent la délation « anonyme » et y prêtent foi, ont toujours été des régimes totalitaires, l’utilisant pour faire régner un climat de peur et paranoïa, propice à museler toute opposition, où l’on se méfie plus de son voisin encore que du policier, où tout ce qu’il y a de pervers frustrés en terme de pouvoir, peut se sentir puissant en détruisant la vie d’un autre tout en restant dans l’ombre protégé par le pouvoir en place, devenant autant d’auxiliaires zélés des tyrannies en place. : lors de la terreur de la révolution française, du régime collabo de Vichy, du stalinisme, du Maccarthysme, … ils ont proliféré parce que ces régimes les encourageaient à le faire, leur donnaient le « pouvoir » de s’en prendre à l’autre en toute impunité.
De plus il est question de rémunérer cette délation, « plusieurs milliers d’euros seraient proposés », cherchant à flatter la cupidité, tout en ayant un discours de civisme … comme si le civisme (souci du citoyen de privilégier les intérêts de la collectivité au détriment des siens propres) était une marchandise pouvant s’acheter et se vendre.
Dans une société où la justice est mise à mal, où l’on cherche à faire des coups médiatiques pour l’exemple, où règne une justice à 2 vitesses, où l’exclusion est criminalisée et où l’on attise l’antagonisme entre policiers et jeunes des cités … comment pourrait-on avoir confiance dans les vérifications de la véracité des témoignages, que seront impitoyablement éliminés ceux nourris par les haines ordinaires, l’appât du gain, pour éviter la mise en accusation d’un innocent, alors même que la méthode est une véritable incitation aux comportements haineux et cupides, un droit de nuire, érigé en devoir citoyen.
Faire appel à de tels procédés est révélateur d’une société dirigée par un pouvoir totalitaire qui dissimule de moins en moins son visage, sûr de son hégémonie. Mais le totalitarisme est forcément paranoïaque lui-même, hanté par la peur d’être renversé, voyant des ennemis partout, car bien que se prétendant légitime voire plébiscité, il sait que ce n’est pas le cas, que ce n’est que par la peur qu’il règne. On assiste donc à la fois à la distillation permanente d’un discours sur l’insécurité, permettant de masquer la mise en place d’un véritable flicage de la population, ne résolvant pas les problèmes mis en avant (ce n’est pas le but, bien au contraire, ces problèmes doivent perdurer pour servir d’alibi) mais accroissant le sentiment d’insécurité en instaurant un arbitraire d’état, face auquel l’individu se retrouve seul et sans défense.
Pour illustrer : vigipirate contre le terrorisme permettant d’interpeller toute personne « paraissant » suspecte et insinue que vous êtes entourés de terroristes dissimulés dans la foule, les caméras vidéos dans les villes qui ne vous empêcheront en aucun cas de vous faire agresser mais vous dit que le danger guette partout dans la rue, l’explosion des banlieues justifie les contrôles d’identité à répétition des jeunes, la justice arbitraire en comparution immédiate, l’appel à la délation, … et si vous vous élevez contre ces pratiques et dénoncez leur totalitarisme, alors qu’on ne cesse de vous répéter qu’elles ne visent qu’à défendre la démocratie des ennemis qui la menace … vous ne pouvez être que faire parti des ennemis de cette démocratie … la censure de la presse est déjà en-cours, les grévistes sont des preneurs d’otage, un immigré clandestin pourchassé comme un dangereux criminel, une analyse critique et argumentée fait de vous un complice soit des intégristes islamistes, soit d’une extrême-gauche totalitaire, etc… le débat-public, le droit de grève, les manifestations, la critique de la politique du gouvernement, la transparence de l’information … commencent à être déclarée comme anti-démocratiques.
Le totalitarisme de nos sociétés prétend justifier ses actes en se prétendant démocratie assiégée victime d’attaques extérieures et intérieures sournoises dont elle ne fait que se défendre.
On est dans le discours pervers, et j'ai du mal à exprimer de façon compréhensible la manière dont s'articule ce type de discours en général dont les mécanismes sont pourtant immuables et identiques quelque soit le sujet ... dont je vais m'arrêter là pour aujourd'hui, mais j'y reviendrais parce qu'il est important de ne pas se laisser pièger par ce discours manipulatoire, pour essayer de sortir de la confusion volontairement entretenue dans laquelle nous sommes vis à vis des problèmes que nous avons à résoudre.
Ci-dessous quelques articles sur le sujet de départ
Les mécanismes de la délation - De Solon à Nicolas Sarkosy
Sophie L. / jeudi 7 décembre 2006
Jusqu’en 1980, la France se trouvait encore sous le choc de la délation pratiquée sous le gouvernement de Vichy. Pendant cette période les Français avaient envoyé entre 3 et 5 millions de lettres de délation le plus souvent signées !.Après une épuration brutale qui épargna certains des collaborateurs les plus nocifs, et tapa plus fort sur des exécutants misérables l’heure fut à la réconciliation nationale. La France reste un des rares pays à ne pas avoir clairement remis en question cette page noire de son histoire. La revue « Autrement » ("autrement" no1474 un archaïsme une technique, un mode de gouvernement : la délation, ed.autrement novembre 1987) consacre à cette date un dossier à la délation ... Lire la suite >>
Sécurité : l'appel à la délation généralisée ?
Pauline Delassus / Marianne 6 décembre 2007
Pour lutter contre l'insécurité, des appels aux témoignages, parfois rémunérés, sont organisés. Dérive ou mal nécessaire ? ... Lire la suite >>
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Ca se passe comme ça / mercredi 5 décembre 2007
En République sarkozyste, la police a trouvé mieux que les enquêtes de terrain, mieux que le renseignement humain réalisé dans les règles de l’art (indics, infiltrations, filatures, planques...) : les tracts appelant à dénoncer son voisin, de préférence de façon anonyme et rémunérée comme nous l’apprend Reuters. ... Lire la suite >>
Villiers: la police tracte pour acheter des témoignages
Par Chloé Leprince (Rue89) / 04/12/2007
La police promet "plusieurs milliers d'euros" pour toute info permettant d'arrêter les auteurs de coups de feu sur des policiers.
Payer ses indics n'est évidemment pas une révolution, pour la police. Sauf que, cette fois, c'est par des tracts distribués dans les boîtes aux lettres depuis le week-end dernier qu'elle recherche explicitement des témoignages moyennant rémunération ... Lire la suite >>
La plainte dématérialisée... et la délation institutionnalisée ?
Aporismes / mercredi 11 juillet 2007
Tout le monde ou presque a dû croiser, quelques jours après l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence, la création d’un site web cruellement prémonitoire : celui du "Ministère du Civisme et de la Délation" (www.delation-gouv.fr).
Une « blague de potache » pour ses créateurs, mais qui devient de moins en moins drôle à la lumière du dernier discours public de la ministre de l’Intérieur ... Lire la suite >>